

Escrime au sabre
Lothar Winiger
Lothar, vous êtes arbitre et vous-même président et sabreur actif au club CH Châtelaine. Combien de sabreurs et sabreuses sont actifs dans votre club et y a-t-il aussi la possibilité de pratiquer d’autres armes comme l’épée ou le fleuret ?
Lothar : Il y a une trentaine de sabreurs de tous âges actifs au CHC. Nous avons longtemps proposé le sabre et l’épée aux débutants, j’ai moi-même commencé en pratiquant six mois de sabre et six mois d’épée. Au bout d’un moment, plus aucun débutant n’a choisi l’épée et nous avons fini par fermer les cours d’épée et faire venir les épéistes en même temps que les sabreurs à l’entraînement. Lorsque nous n’avons plus eu que des sabreurs, nous avons arrêté de proposer l’épée aux débutants.
Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de l’histoire et de l’importance du sabre en Suisse ?
J’ai commencé le sabre en 1999. A ce moment-là , il existait du sabre dans différents clubs en Suisse : Lucerne, Lausanne, Locarno, toutes les langues étaient représentées. Je ne sais pas depuis combien de temps ces clubs existaient. Lorsque la Fédération Suisse d’Escrime a contacté les clubs d’armes de convention pour leur intimer l’ordre de passer à l’épée, peu de clubs sont restés actifs au sabre. Châtelaine et Founex sont restés très vivants en continuant à envoyer des compétiteurs à l’international. Yverdon et Locarno avaient également quelques compétiteurs. Avec l’arrivée à la présidence de Lars, les clubs de sabre ont cessé d’être étouffés et des clubs aux membres très jeunes ont commencé à se développer comme Chablais et Nord-Vaudois. Aujourd’hui, tous les clubs actifs envoient des participants aux tournois du circuit national et le sabre recommence à se développer.
Les sabreurs étant beaucoup moins nombreux, les chances de voir émerger de bons résultats étaient forcément moindres mais nous avons notamment obtenu une médaille en coupe du monde junior avec Stéphane Richle dans le milieu des années 2000, et plusieurs médailles sur le circuit européen cadet avec Ariane Lebel qui a finalement également obtenu une médaille de bronze aux championnats d’Europe.
« Il est arrivé à quelques reprises que les résultats au sabre soient meilleurs qu’à l’épée lors des tournois du circuit européen/mondial et des championnats d’Europe, mais ces sabreurs prometteurs ont tous fini par abandonner face au manque de soutien de leur fédération et à la difficulté de continuer à progresser tout en restant en Suisse où les athlètes sont rarement soutenus. »
On peut dire que l’escrime à l’épée est dominante en Suisse alémanique. Comment décririez-vous la situation actuelle de l’escrime au sabre en Suisse ?
Actuellement, le sabre en Suisse peut profiter de l’expérience d’anciens compétiteurs et de ses maîtres d’arme pour se développer. Le problème est qu’il n’a pas été possible de maintenir des générations de compétiteurs continues, on peut donc considérer que la génération moins de 17 ans constitue une nouvelle base qui est actuellement en train de s’épanouir alors que très peu de sabreurs plus âgés réussissent à s’imposer lors de tournois internationaux. Nous devons maintenant espérer continuer à trouver de nouveaux membres pour que les générations se tirent les unes après les autres vers le haut et que le sabre puisse se développer.
Selon vous, quels sont les facteurs qui contribuent à ce que l’escrime au sabre ne soit pas aussi bien représentée que l’escrime à l’épée, par exemple ?
La campagne de l’ancien comité de la Fédération Suisse d’Escrime nous a fait beaucoup de mal. A ce moment-là , seuls les clubs de Châtelaine, Founex et Locarno sont restés vraiment actifs. Il était difficile de se considérer comme une structure nationale en étant si peu. Le confinement relatif lié au Covid-19 nous a également fait perdre beaucoup de membres.
Il faut encore prendre en compte le fait que le sabre est une arme de conventions, dont les règles sont bien plus difficiles à comprendre que celles de l’épée. Les touches sont beaucoup plus rapides et l’application de la convention rend le spectacle difficile à comprendre pour des néophytes. Au niveau mondial, l’épée compte également plus de participants que les armes de convention, probablement parce que le sport est plus accessible et le jeu plus rapide à comprendre.
J’ai entendu dire que l’escrime au sabre et au fleuret ne correspondait pas au tempérament suisse (ou suisse alémanique). Comment décririez-vous le tempérament des athlètes de sabre et quelles sont les qualités physiques requises pour réussir dans l’escrime de sabre ?
Les sabreurs sont réputés pour être fougueux, explosifs et rapides. Je ne suis pas au courant de la réputation des fleurettistes. Pour nous, l’épée est souvent considérée comme une arme lente et ennuyeuse où l’on peut passer trois minutes à regarder un match sans y voir d’action. Au sabre, toutes les touches sont rapides. Je ne considère pas que les Suisses, ni les Suisses-alémaniques en particulier, soient des gens plus lents que leurs voisins européens.
« Je pense que l’absence des armes de conventions est plutôt liée au fait que les clubs alémaniques ont plus facilement suivi la fédération lorsqu’il leur a été demandé de se limiter à l’épée. »
La maîtrise du sabre nécessite d’être capable d’observer, de réagir vite, de s’adapter très rapidement, d’être précis, vif, puissant au niveau des jambes tout en exerçant un contrôle très précis, de jongler avec les notions de distance et d’équilibre, de faire preuve de vitesse et d’explosivité, de rester concentré tout en gérant sa respiration lors d’un effort continu, tout en sachant se montrer fin tacticien.
L’escrime au sabre est beaucoup plus proéminente dans les pays voisins. Quels défis spécifiques voyez-vous pour le développement et la promotion de l’escrime au sabre en Suisse ?
Je vois plusieurs difficultés dans la promotion du sabre. La première est la difficulté à comprendre le jeu sans être brieffé par une personne expérimentée. Je constate dans mon métier que les jeunes générations sont de plus en plus enclines à fuir les activités exigeantes, et la quantité de règles au sabre peut être décourageante. De plus, l’absence de figures de proue attire certainement moins de débutants, comparé à d’autres sports individuels comme le tennis ou le ski qui bénéficient en Suisse d’un historique porté par des stars mondiales.
« Une autre difficulté que nous rencontrons est celle de conserver nos membres, car les jeunes aiment de plus en plus essayer des sports et en changer après quelques années. »





Quelles sont, selon vous, les principales mesures qui devraient être prises pour rendre le sabre plus populaire ?
C’est une très bonne question. Je pense que la visibilité télévisuelle, ou sur les réseaux sociaux peut être efficace. Par rapport à la promotion en club, le fait d’avoir très peu de gens impliqués rend difficile la mise en place de grands événements qui pourraient faire une bonne publicité. Je pense que c’est ce dont souffre le plus le club dont je suis le président à Genève. Le maître d’arme ne peut pas tout faire seul, et nous manquons de jeunes adultes anciens compétiteurs ou de parents de jeunes membres impliqués pour l’encadrer.
Selon vous, quels sont les groupes cibles qui devraient être particulièrement visés par la promotion de l’escrime au sabre?
L’idéal serait de trouver une visibilité dans les écoles des quartiers proches des clubs. Des initiatives ciblées pourraient avoir du succès (événements d’entreprises, échanges avec d’autres sports), mais je n’ai pas personnellement réussi à en mettre en place.
Existe-t-il des programmes ou des initiatives spécifiques qui ont déjà été mis en place avec succès ou qui pourraient l’être à l’avenir ?
Une structure existe en Suisse Romande pour rendre le sabre accessible aux femmes atteintes d’un cancer du sein. Ces initiatives permettent au sabre d’exister dans le sport pour tous.
Un échange international a-t-il lieu ? Pouvons-nous apprendre des autres pays, et si oui, comment ?
Il arrive que nos sabreurs fassent des stages à l’étranger. Cela m’est arrivé lorsque j’étais compétiteurs, et c’est pour moi le meilleur moyen de progresser. En une semaine d’entraînement à Rome, j’ai appris plus qu’en plusieurs mois en Suisse.
« Les échanges permettent d’affronter un grand nombre d’adversaires aux styles de combat variés, et d’entraîner une adaptabilité qui manque actuellement aux sabreurs Suisses. »
Plusieurs pays européens proches ont une grande histoire dans la pratique du sabre: Italie, France, Allemagne, Hongrie, … La principale difficulté est de recevoir les informations pour participer aux stages internationaux si personne ne nous connaît, et de se faire réinviter si les Suisses sont peu nombreux à participer lorsqu’ils sont invités.
Quel est le rôle des clubs d’escrime en Suisse dans la promotion de l’escrime au sabre ? Et comment la coopération entre les clubs et Swiss Fencing pourrait-elle être améliorée ?
Les clubs font le travail de base en amenant et en conservant leurs membres. Nous essayons d’être visibles sur les réseaux sociaux et dans les médias locaux proches des clubs. Actuellement, Swiss Fencing donne une visibilité raisonnable au sabre. Je pense que les résultats de sabreurs pourraient être mis en avant, lorsque ceux-ci avanceront vers les phases finales de compétitions internationales.
Comment évaluez-vous le niveau des sabreurs et sabreuses suisses en comparaison internationale?
Actuellement, le niveau des sabreurs suisses à l’international est à nouveau plutôt faible. Les résultats ne font pas tout, mais leur absence ces dernières années montre que la Suisse n’a pas en ce moment les moyens de prétendre à un autre statut que celui de petite nation au sabre.
Lothar, qu’est-ce qui vous a personnellement motivé à vous engager pour le développement du sabre ? Et : Avez-vous une vision personnelle pour l’avenir du sabre en Suisse ?
Le sabre est lié à mon développement personnel, il a occupé une place importante dans ma vie pendant vingt-cinq ans et je suis attaché au fait qu’il continue à exister en Suisse. Le fait que la fédération nationale s’ouvre aux armes de conventions m’a poussé à m’investir un peu plus, puisque l’horizon semblait moins fermé. Je ne peux pas rêver de manière réaliste que la Suisse devienne une nation importante au sabre. J’espère cependant que les clubs continueront à vivre sainement, que la Suisse restera présente sur la scène internationale, en obtenant de temps en temps de bons résultats et surtout en prouvant que nos tireurs maîtrisent leur sport et peuvent se montrer dangereux même face aux meilleurs adversaires.
« Si un talent exceptionnel émerge, j’espère qu’il sera soutenu afin de pouvoir espérer atteindre son meilleur niveau, et qui sait ce qui pourra arriver ? »