

Escrime théâtrale
Bertrand Daine
Bertrand, vous êtes à la base juriste licencié, mais à 33 ans, vous avez donné une toute autre direction à votre carrière – vous êtes aujourd’hui, entre autres, l’un des escrimeurs de théâtre et chorégraphes les plus prometteurs d’Europe. Pourriez-vous résumer pour notre public comment vous en êtes arrivé là ?
Bertrand : Vous me flattez. J’ai commencé le théâtre dès l’enfance, et je l’ai longtemps pratiqué en amateur. A 17 ans j’ai néanmoins fait le choix « raisonnable » de commencer des études de droit, ce qui m’a amené à travailler dans une étude de notaire puis dans le secteur bancaire. J’aimais bien mon boulot, mais une envie brûlante de faire toujours plus de théâtre m’a poussé à tenter l’aventure professionnelle, et à rentrer au conservatoire de Bruxelles.
C’est là que j’ai découvert l’escrime théâtrale sous la férule de Jacques Cappelle, un maître absolu de cet art. J’ai directement eu le coup de foudre pour cette discipline, et je m’y suis plongé avec enthousiasme.
J’ai également eu la chance de rejoindre la « Vivre en Fol cie », troupe que créaient quelques-uns de mes camarades. J’y ai créé mon premier combat professionnel, pour « Les trois autres petits cochons (et Eugène) », un duel à la pique à brochette entre le Grand méchant Loup et son sidekick Eugene. Nous tournons d’ailleurs toujours avec cette pièce, qui en est à plus de 180 représentations (et où j’ai repris le rôle d’Eugène). Nous avons par la suite créé plusieurs spectacles de capes et d’épée, ce qui m’a lancé dans cette spécialité.
Au fur et à mesure des années, j’ai continué à me former, et j’ai pû participer à d’autres projets comme combattant ou chorégraphe de combat, en parallèle de mon parcours de comédien. J’ai fini par créer, avec mes complices Philine et Lou, notre propre structure « La Tour du Soleil », qui se spécialise notamment dans le combat scénique.
Le combat scénique – nous la connaissons surtout dans les films, les musicals et les théâtres. Je pense à Zorro, Kill Bill, The Last Samurai… Pouvez-vous nous parler de l’origine et des tendances actuelles de cette forme d’art ?
L’histoire du combat scénique mériterait un article en soi. Les spectacles actuels incluent des affrontements très variés dans leur forme, leur degré de réalisme, et leur qualité. La création de chorégraphies de combat demande du temps et du travail, dont les metteurs en scène et producteurs n’ont pas toujours conscience. Toutes les productions ne se donnent donc pas les moyens de leurs ambitions à ce niveau-la. Il en va de même dans l’audiovisuel.
« Une évolution intéressante se produit néanmoins au cinéma, dans la manière de filmer des combats. Après des années de combats sur-découpés et filmés de manière épileptique, des films plus récents (Notamment la saga « John Wick ») mettent les scènes d’action en valeur au moyen de plans plus longs et soignés. Cela leur demande plus d’efforts (et d’entraînement pour les acteurs) mais donne un résultat bien plus intéressant. »
Vous maîtrisez vous-même le maniement d’un grand nombre d’armes. Pouvez-vous les énumérer brièvement et nous dire quelle est votre arme préférée et pourquoi ?
Nous nous entraînons principalement en escrime: Sabre, fleuret, dague et rapière. Nous pratiquons cependant également l’épée médiévale, avec ou sans bouclier, le sabre laser, le combat à mains nues, le couteau, le bâton, et même les armes à feu. Je crois que la combinaison rapière et dague de main gauche est l’une de mes disciplines préférées, pour la richesse des combinaisons qu’elle permet.





Je suppose qu’un entraînement régulier est indispensable. Pouvez-vous nous dire comment vous vous entraînez et ce qui vous est demandé ? Physiquement, mentalement ?
Le mardi est la journée principale d’entraînement: l’après-midi j’entraîne un groupe de camarades, dans des disciplines variées en fonction des envies, et des besoins des projets du moment. Le soir je suis l’assistant de Maître Cappelle, qui est toujours mon mentor.
Le reste de la semaine, j’ai des possibilités d’entraînement presque chaque jour, afin de pouvoir adapter mon programme à un horaire de comédien toujours fluctuant: Amhe (Arts martiaux historiques européens), karaté, et d’autres pratiques plus occasionnelles: escrime ludique, tir sportif, aïkido,… À tout cela s’ajoutent des séances d’assouplissement presque quotidiennes. Je participe encore également à des stages internationaux, notamment en Scandinavie auprès de la NSFS (Nordic Stage Fighting Society).
Pour l’aspect mental, je me documente beaucoup: Livres de combat scénique, traités d’escrime historique, visionnages de combats de films ou de théâtre,… J’analyse tout cela et je le compile pour préparer les projets en cours ou futurs.
J’imagine qu’il y a tout de même quelques défis à relever à l’entraînement et sur scène. Je pense en premier lieu à la sécurité, au timing, etc. Pouvez-vous expliquer brièvement à notre public comment vous surmontez ces défis ?
Effectivement la sécurité est notre priorité principale: Inutile de créer un combat extraordinaire si l’on ne peut pas l’exécuter sans risques, et cela de nombreuses fois. Notre entraînement est adapté à cette nécessité, en nous concentrant sur le contrôle de nos gestes et de notre arme, et sur le rapport avec le partenaire, afin de pouvoir nous adapter à tout incident. Une chorégraphie de combat est répétée à d’innombrables reprises, à des vitesses différentes (vitesse lente pour vérifier la précision de chaque geste, vitesse moyenne pour trouver la fluidité, etc.), et doit pouvoir être exécutée de manière « neutre » ou au contraire avec toute l’émotion du personnage, qu’il faut savoir canaliser pour qu’elle n’amène pas tout à coup une vitesse ou une fébrilité incontrôlée.
Y a-t-il une situation dont vous vous souvenez qui a été particulièrement critique ?
J’ai la chance de n’avoir jamais eu d’incidents graves lors de nos spectacles et tournages. Une de mes comparses a cependant été blessée à la main droite juste avant une série de représentations de « Quatre guitares pour Zorro », où elle devait participer à plusieurs combats. En 48 heures elle a réussi à s’adapter pour effectuer toutes les chorégraphies en maniant son sabre de la main gauche. Sacrée performance. Depuis lors, nous nous entraînons régulièrement avec notre main non directrice, pour être prêts à toute éventualité.
Quels parallèles voyez-vous avec l’escrime olympique, c’est-à-dire l’épée, le fleuret et le sabre ?
Les bases de notre escrime sont clairement les même que celles des armes olympiques: Au niveau des déplacements, des parades, des attaques,…, le vocabulaire et les gestes sont très proches. C’est notre rapport au partenaire qui est différent: nous devons être synchronisés, ne jamais surprendre l’autre, arriver à avoir des mouvements juste assez amples pour que l’autre aie le temps d’effectuer sa réaction, sans que cela ne devienne perceptible pour le spectateur.
La maîtrise des armes olympiques est-elle un avantage si l’on souhaite se lancer dans l’escrime théâtrale?
Cela peut être à la fois un atout et un défi.
« Les escrimeurs sportifs qui se frottent à notre discipline doivent parfois « désapprendre » leurs réflexes: J’en ai vu qui avaient du mal à doser la vitesse de leur « prime – coup à la tête » si bien entraîné. Il leur faut aussi s’adapter à des gestes parfois différents en fonction du personnage incarné et de son style particulier d’escrime: un aristocrate ne se bat pas comme un pirate… Et puis il y a des styles de combat très différents de l’escrime (combat à mains nues, armes médiévales,…) où les bases sont différentes… »
Y a-t-il des traits de caractère spécifiques que les personnes exerçant ce métier partagent ? Ou, en d’autres termes, quel genre de personnes s’intéressent à l’escrime théâtrale ?
Il faut évidemment un certain enthousiasme pour les scènes d’action, que ce soit les combats de cape et d’épée, les combats d’arts martiaux, les bagarres, etc. Cela ne suffit cependant pas, et il faut aussi un certain goût de l’effort pour s’entraîner régulièrement, et répéter un même combat encore et encore. Il faut enfin un grand contrôle de soi, pour s’adapter à son partenaire et aux circonstances. Comme je le dis parfois, il faut « La tête dans les étoiles, et les pieds sur terre ».
Votre palmarès est remarquable. De quelle production, de quelle performance êtes-vous particulièrement fier jusqu’à présent ?
Il y a bien sûr « West Side Story », qui m’a donné la possibilité d’apporter ma touche personnelle aux combats d’une comédie musicale incontournable. Avec les metteurs en scènes nous avons veillé à retranscrire la violence des bandes rivales, non seulement lors de l’iconique duel au couteau, mais aussi dans les autres bagarres à mains nues, ou à coups de battes, crosses et chaînes,… L’une des scènes voyait même plus de vingt personnages s’affronter sur scène. Mais je garde une grande fierté d’une de mes premières créations avec la Vivre en Fol cie: « Rodomontades », un hommage aux oeuvres de capes et d’épée où j’ai pu pour la première fois m’en donner à coeur joie pour des combats variés par les armes employées, le nombre de protagonistes, le mélange d’action et d’humour, la musique, etc.
Bertrand, sur quoi travaillez-vous actuellement ? Et y a-t-il quelques conseils d’événements pour les lecteurs qui s’intéressent à l’escrime théâtrale ?
J’ai commencé les recherches et préparatifs pour les scènes d’actions de la prochaine comédie musicale produite par Tobiarts: « L’île au trésor », adapté du classique roman de Stevenson. Ça se jouera du 22 octobre au 2 novembre 2025 pour 16 représentations seulement à Bruxelles (W:Hall), Wavre (La Sucrerie) et Liège (Le Forum). Plus d’infos bientôt sur http://tobiartsproductions.be. Avec la Vivre en Fol cie, nous reprenons également notre « Quatre guitares pour Zorro », mettant en scène le fameux justicier masqué, notamment à la Templerie des Hiboux du 06 au 09 juin 2025, mais il y aura sûrement d’autres dates, qui seront annoncées sur https://www.vivre-en-fol.com.
Bertrand Daine est un comédien, combattant scénique et chorégraphe de combat belge.
Après un détour par des études de droit et une carrière dans le secteur bancaire, il rentre au Conservatoire de théâtre de Bruxelles, ou il fera de nombreuses de nombreuses rencontres, dont son mentor de combat scénique, maître Jacques Cappelle.
Dès ses premiers projets professionnels avec la « Vivre en Fol cie », une troupe fondée par plusieurs de ses camarades du conservatoire, il prend la casquette de chorégraphe de combats (Et, souvent, de combattant). Ce sera notamment le cas pour les pièces de théâtre musical de capes et d’épées « Quatre guitares pour Zorro » et « Rodomontades ». Il dirige ensuite, entre autres, les combats de « Vauban est son double » et « Les misérables », spectacles joués dans les Citadelles de Besançon et de Namur, ainsi que « Les trois glorieuses » et « 18 rue du Marais » au Magic Land Théâtre. En 2023, dans le cadre du festival Bruxellons, il s’attaque aux nombreuses bagarres (mains nues, couteau cran d’arrêt, mais aussi battes, chaines, etc) de « West Side Story ».
C’est également cette année-là qu’il fonde, avec ses complices Philine Wollast et Lou Chavanis, la structure « La Tour du Soleil ». Cette association se spécialise dans le combat scénique, tant en mettant ses compétences au service de projets (de scène ou d’audiovisuel), que par l’organisation de nombreux workshops de formation. La Tour du soleil dispose en outre d’un stock important de matériel (Costumes, accessoires, et évidemment répliques d’armes de toutes sortes et de toutes époques).
Il orchestrera bientôt les scène d’action d’une nouvelle comédie musicale: « L’Île au trésor », inspirée du classique roman de pirates de Steveson.
Ce touche-à-tout est également auteur et metteur en scène, et pratique le chant, l’improvisation théâtrale, l’accordéon, le dessin…